NIHON ? NIPPON ? RIBEN ?

 JAPON…

 

[Les échanges qui suivent, sur l’origine du mot Japon et la manière dont les Chinois l’ont prononcé et véhiculé a eu lieu principalement sur fr.lettres.langue.japonaise en août 2002. Il témoigne de l’intérêt et de la possibilité du dialogue entre francophones férus de l’une ou l’autre culture, mais aussi des difficultés de communiquer dans ce domaine.

Une suite datant de juillet 2006 ...]

 

Jay, à propos de l’origine du mot « moxa  »

Y aurait-il un intermédiaire chinois avant qu'il ne passe en anglais ?
Un peu comme nippon qui est devenu Japon une fois que Marco l'a entendu déformé par les chinois.

 
Compilateur :

Les Chinois ne "déformaient" pas, ils traduisaient et prononçaient leurs mots, en cantonais ou en pékinois. La première prononciation a donné Japon (jiat'pun) la seconde Cipangu (*jipenkwo).
Effectivement, riben en chinois (transciption pinyin), la racine du soleil,
日本, le prononce comme (plus ou moins) *jipên', guo, 国國, comme *kwo, jipên'kwo le pays du soleil levant (en mandarin, pas en cantonais. serait alors jat8, pun3, jat'pun' ... pas mal ! c'est ku(e)k9

(le chiffre, c'est le ton; 9 en cantonais dont 6 discriminants, tons.htm )

日本 semble en japonais se lire hi hon en déchiffrage de kanjis. C'est peut-être "nippon" qui est une déformation ...

Jay :

Ben si, c'est une déformation, fort compréhensible et bien pardonnable (on fait pareil avec "pékin" ou "o'z'aka" en français) mais ça reste une déformation de la prononciation "originale" que seule les japonais détiennent.

D'ailleurs à ce propos, les japonais, bénéficiant d'un alphabet (syllabaire) dédié notamment a l'import de mots étrangers, gardent en général (quand ils y arrivent) la prononciation "locale" de la ville ou du pays. Ce qui fait qu'il est parfois fort difficile de parler de noms de villes qui ont, en français, une prononciation "francisée" bien différente de la prononciation "officielle" locale.

 »hihon », ça se lit "nihon", et se déforme parfois en "nippon" dans la bouche même des japonais.

"ganbare nippon
ike ike nippon"

 Pascal :

Dans une des leçons de japonais diffusée sur NHK World il est expliqué que la prononciation "nihon" sert dans le langage courant alors que la prononciation "nippon" sert plutôt lorsque l'on parle d'une société ou de choses "officielles ou administratives" (on prononce par exemple Nippon dans le nom NHK : Nippon Hoso Kyokai).

Jay :

Disons qu'on dit nihon tout le temps, sauf quand le japonais se prend pour un français qui crie "cocorico" (il dira plutôt "nippon" lui)

Bref, nippon, c'est "je suis un japonais très fier et je le fais savoir à tout le monde"

Compilateur :

  Que les Japonais lisent 日本 nippon, nihon ou palsambleu ne changera rien au fait que pour un Chinois de Pékin cela se lira riben (prononcer *jipen à la française) et pour un Cantonais jiat'pun. reste ri ou jiat, demeure ben ou pun, dans ce doublet comme dans d'autres ou isolément. Rien à voir avec une déformation d'un quelconque original, ce qu'est Japon au
regard de
日本 .
 

Jay :

Je ne suis pas sur de vous suivre. La lecture chinoise, somme toute légitime (après tout il s'agit quand même de caractères chinois) n'est pas conforme à la lecture qu'en donnent les japonais. Il y a bien eu déformation par les chinois dans la transmission du nom.

Le japonais a plus de lectures que le chinois pour ses kanji.
L'exercice est plus compliqué dans le cas du japonais je pense.

Compilateur :


C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas du même exercice ... La relation entre le kanji et la prononciation n'est pas la même que pour les caractères. En japonais, le mot existe indépendamment du kanji qui représente le concept, la chose ou la personne. Glyphe ou pas, on pourra toujours écrire ce que l'on prononce. Il y a une claire relation d'antériorité. Pas en chinois.

Sans caractère, pas d'écriture - le pinyin n'est qu'une convention de transcription phonétique comme le BoPoMoFo ou le Wade Gilles postérieure à l'écriture proprement dite ( tout comme l'API est postérieur à l'alphabet utilisé en français).

Lorsque en chinois à un même tracé correspondent deux prononciations (au sein d'un même système linguistique) cela se traduit par deux entrées dans le dictionnaire; la variation peut porter sur le ton jin3 qui signifie le plus ... possible n'est pas jin4, épuisé, fini, ou peut être plus importante, da4 grand n'est pas dai4, docteur en médecine.

Lorsque le même caractère a plusieurs sens, mais une seule prononciation, ce qui est le cas de très loin le plus usuel, il n'y a qu'une entrée. Pour nous en tenir à , ce caractère a cinq acceptions en chinois: soleil, journée, jour, quotidien, temps qui peut-être s'énoncent différemment en japonais.

Tout cela en chinois se dit ri4 et figure sous une seule entrée dans le dictionnaire.

En outre, le chinois est une langue monosyllabique où abondent les dissyllabes. Que l'on veuille parler de la racine du soleil comme métaphore poétique pour désigner l'est, ou du Japon, l'on écrira 日本 et l'on prononcera riben sans rien, sauf le contexte, pour savoir de quoi réellement l'on veut parler.

Si les Chinois avaient voulu s'inspirer de "nihon" pour désigner
le Japon, ils auraient pu "déformer" et écrire quelque chose comme
匿红 nihong, le Rouge prêt à bondir (j'affabule).

Ils ne l'ont pas fait, puisque les Japonais avaient décidé de se nommer peuple de la racine du ciel.

Ils l'on fait un peu pour les Français (le pays de la loi) ou les Américains (le pays de la beauté) en se fondant plus ou moins sur la prononciation (fa pour France, car fra n'existe pas. mei pour America) et beaucoup pour les Suisses (ruishi, prononcer *jouiche). Ils ne l'ont pas fait pour le Méditerranée 地中海 di zhong hai, mer au milieu des terres,  mais pour la mer de Marmara 马尔马拉海 ma'ermala hai.

Quant à savoir si c'est plus difficile en japonais qu'en chinois de
manipuler les caractères, je n'en sais rien, mais aurais tendance à le croire, tant l'importance de ces derniers au regard des kanjis est grande.

C'est vraiment de l'immersion totale caractères, et l'on s'imprègne en somme assez vite de leur logique interne. Les retenir, savoir les utiliser et les prononcer, c'est une autre paire de manches.
Mais nous vous faisons tous confiance ...

(NDC. Jay souhaite apprendre le chinois, maintenant qu’il maîtrise le japonais)


Fonzy :

Ce que veut peut-être dire JVG, c'est que ça vient du chinois.

"nihon", tout en étant un peu à part,
c’est quand même à la base,
la lecture on-yomi  de ces kanjis (du moins pour "hon", l'autre j'ai un doute)... 
donc d'origine chinoise.
 
 Bon bref, disons "yamato" et là on est sur qu'on parle du Japon dans un terme non sinisé ^^;; 
 
Compilateur :
Je ne me frottais pas à nihon/nippon, mais à Japon/Japan,
qui correspondent à la prononciation cantonaise des deux caractères désignant le soleil dit levant. 

semble-t-il se prononçait quelque chose comme nit en ancien chinois
(c'est Tower of Babel via Zhongwen qui le dit).

Quant à , pun domine dans les variantes.
Pas sur que cela suffise pour affubler nihon d'une origine étrangère...

Fonzy :

Je ne suis pas sur d'avoir bien compris.
Cela dit, j'ai lu une anecdote intéressante, puisque le tout premier contact 
entre les empereurs s'est fait une fois que le Japon fut sinisé et c'est
l'empereur du Japon qui écrivit à l'empereur de Chine en ces termes (traduits):
"De l'empereur du soleil levant à l'empereur du soleil couchant"
(déjà le sens de la métaphore et du symbolisme chez les Japonais ^^;;).

On pense que c'est le premier contact officiel qui a porté le Japon
à la connaissance des gouvernants chinois. Jusque-là, le seul contact était via
le bouddhisme (et l'introduction des caractères aussi par cette voie)
et il est probable que la dénomination de l'archipel était un peu flottante (sic) 
chez les Chinois tant que le voisin ne s'était pas déclaré comme entité politique.
Souvenez-vous il y a peu, comment on hésitait encore
sur la dénomination
de la partie tchèque de la Tchécoslovaquie... 

Une telle entité, politiquement indépendante et souveraine,
n'ayant plus existé depuis des lustres, l'Européen moyen contemporain 
en avait perdu la dénomination.
Ce premier contact étant par écrit et entièrement en caractères chinois,
il me semble clair qu'en effet, les Chinois ont lu ces caractères comme bon
leur semblait, c'est-à-dire avec leur lecture à eux.
Je ne pense pas que l'empereur japonais avait mis des furigana 
pour indiquer à son voisin comment il devait appeler son pays ^^.

Mais tout ça c'est difficile à savoir,
Marco Polo étant arrivé beaucoup trop tard (tout était déjà joué)...

Jay :

L'anecdote rapportée par Nicolas Bouvier dans ses "Chroniques japonaises"
finit ainsi :

L'empereur de Chine, sans égal sur terre, outré par la lettre qui
s'adresse à lui en égal, répondit très brusquement à ce cacatoès qui
osait se considérer son égal.

Heureusement, la notion d'honneur, très présente chez les Japonais,
permit à l'ambassadeur d'égarer la lettre durant le voyage de retour...  

  Compilateur :

C'est curieux comme les choses simples peuvent devenir compliquées ...

 Il va de soi que, en présence d'un message écrit en utilisant les caractères
qu'ils connaissaient, et mentionnant pour la première fois le nom d'un état,
les Chinois l'ont lu comme il se devait - à la chinoise, ou à la cantonaise,
ou à l'ancienne. Et cela a probablement donné, finalement, Japon.

Si le message avait été oral, et que les mêmes Chinois aient été exposé à
une sonorité comme Nihon, ils auraient peut-être transcrit
匿红 et peut-être que
Japon n'aurait jamais existé.
Mais eux n'ont pas eu besoin de traduire, ni de translittérer ...

Fonzy, concluant:

Voilà. Exactement. Et c'est le fait d'avoir cette anecdote en tête qui me laisse fortement supposer que "Japon" provient de termes purement chinois. C'est un peu pareil avec l'Allemagne, qui s'appelle elle-même "Deutschland" mais qui comme elle a été d'abord nommée par les Romains, a donné les dérivés latins "germains". " You German, go back to Germania" (Les Simpsons) ^^

 

14.8.2002, jvg

 

REBONDISSEMENT DE JUILLET 2006

Jean, sur fllc:

> Je trouve dans un texte assez ancien sur les Aïnous du Japon que leur pays se dit (ou se disait) en chinois « Jih-kao-kien », ce qui voudrait dire « [pays où l'on] voit la hauteur du soleil ». A partir de cette graphie ancienne, je crois devoir convertir (mais je ne sais pas le chinois) en pinyin « Ri-gao-jian ». Est-ce correct ? Ai-je un moyen de vérifier sur Internet ou dans un ouvrage de bibliothèque si ce nom est toujours connu ?

Compilateur, après moult recherches et un suivi sans contradicteur sur fllj:

Jih kao kien, à condition de mélanger un peu les transcriptions WadeGilles et EFEO, cela pourrait effectivement se prononcer ri gao jian, "voir le soleil grand". Rien d'incompatible avec la racine du jour ...

En simplifiés, 日高见, traditionnels  日高見. 

Avec guo, le pays, on trouve un certain nombre d'occurences 日高见国 / 日高見國 par Google, effectivement.
L'appellation que vous mentionnez daterait, 

selon
http://zh.wikipedia.org/wiki/%E9%98%BF%E4%BC%8A%E5%8A%AA%E4%BA%BA

du 6ème siècle, et se retrouverait dans des textes militaires.

Selon http://www.epochtimes.com/b5/1/9/5/c5069.htm

elle serait équivalent au 東北北部 (le nord du nord-est).

Bref, on trouve des indices. 

Maintenant, 日高國 c'est l'ancienne province d'Hidaka, située sur l'île d'Hokkaido, 

où l'on parle aussi le dialecte aïnu Kitami  北見.

Mais ce serait plutôt une question à poser aux japonisant lettrés, me semble-t-il ...

jvg, 31.7.2006

NDC : Quant à l'hypothétique prononciation hihon, je me suis simplement référé à kanji.free, qui indique aussi bien hi que ni comme prononciation pour .
J'aurais certes dû faire plus attention, puisque on lit en fait à cette entrée -bi, NIT-, NIK-, NI, NICHI, HI : jour, soleil -ka, JITSU : jour et, un peu plus bas
日 本 nihon : le Japon mais 日の出 hi no de : lever de soleil
 

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L'écriture On-yomi correspond aux Katakana, Kun-yomi aux Hiragana. Les katakana (kana simples) servent surtout à la transcription des mots étrangers.  

On peut ajouter, au dessus des caractères chinois, kanji, leurs prononciations avec des kana, alphabet japonais. Les kana ainsi placés s'appellent furigana