元                LA FÊTE

宵               DES

节   LANTERNES  

 

[La fête des lanternes, le quinzième jour du premier mois lunaire, c'est un peu la Saint-Valentin chinoise et traditionnelle. On y mange des friandises, et l'on y badine un peu. D'où nombre de poésies et chansons, dont celle dont il est ici question. Cette page reprend, en le détaillant quelque peu, un processus déroulé sur Yahoo groupes. Il s'agissait en somme d'une suggestion ou d'un défi lancé par Qi Wang, lui-même féru de poésie - il a traduit La Fontaine en chinois - à Yves Harrand, informaticien calligraphe - que nous avions déjà rencontré au détour de Traits. Une autre page autour de la poésie chinoise, présentation d'un poème de Wang Wei sur junzigu.htm ]

Ajout 2008: un dossier complet sur la fête des lanternes (en chinois, format *.pps)

LE 7 FEVRIER 2000, AINSI DONC PARLAIT QI WANG:

"Le 15e jour après le Nouvel An, quand les Chinois voient la première pleine lune, ils la fêtent. Et cela conclut la saison fériée du Nouvel An, qui alors dure déjà depuis une vingtaine de jours. Bien sûr, on reprend le travail bien avant ce jour-là, mais on parle de sentiment, n'est-ce pas... C'est pour ça que la fête est aussi appelée Xiao Nian, 小年, petite année, petit Nouvel An.

YuanXiao Jie (元宵) veut dire simplement fête du   premier soir. Elle est aussi dite Deng Jie (灯节), fête des lanternes. Marchés nocturnes, lanternes, feux d'artifice ... sont de rigueur. On mange des YuanXiao   (mêmes caractères que le nom de fête) au Nord et des TangYuan (汤圆) au Sud.  Ils sont pareils, mais quand même différents. Je ne sais pas tellement la   différence car je viens de l'Est 

et je n'ai jamais goûté de YuanXiao!  Ce sont  des petites boulettes de farine de riz

 sucrées ou salées farcies de sésame,  viande, purée de soja vert...    

La fête donnait aux jeunes du passé une occasion exceptionnelle pour se rencontrer, car le contact entre les filles et les garçons était autrement très limite est contrôlé. On peut dire qu'elle était la St Valentin ou la fête des amants de la Chine. Bien sûr, elle ne l'est plus autant ... [NDC. On trouve pourtant sur Yahoo Chine des cartes de voeux électroniques pour la fête des lanternes. Les illustrations de cette page en sont tirées]

Mais beaucoup de poèmes restent pour nous en parler. J'ai le plaisir d'en partager un avec vous:

  

 

去年元夜时,花市灯如昼。qù nián yuán yè shí, hua shì deng rú zhoù.

月上柳梢头,人约黄昏后。yuè shàng liû shao toú, rén yue huáng hun hoù.

今年元夜时,月与灯依旧。jin nián yuán yè shí, yuè yû deng yi jiù.

不见去年人,泪湿春衫袖。bù jiàn qù nián rén, leì shi chun shan xiù.

 

IL FALLUT LE TALENT D'YVES HARRAND POUR RENDRE TOUTE LA NOSTALGIE DE CETTE CHANSON: 

L'an passé, premier soir de la nouvelle année;
Sur le marché aux fleurs, si clair illuminé,
La lune dépassait des saules les sommets,
La nuit tombée j'allais voir l'homme que j'aimais

Cette année, premier soir de la nouvelle année,
Les lampes et la lune éclairent comme avant ;
Mais je ne le vois plus, lui, mon ancien amant,
Ma robe de printemps,  mes larmes l'ont fanée.

 

                        MAIS ... COMMENT EN ARRIVER LÀ ?

去年元夜时,花市灯如昼。qù nián yuán yè shí, hua shì deng rú zhoù.
月上柳梢头,人约黄昏后。yuè shàng liû shao toú, rén yue huáng hun hoù.
今年元夜时,月与灯依旧。jin nián yuán yè shí, yuè yû deng yi jiù.
不见去年人,泪湿春衫袖。bù jiàn qù nián rén, leì shi chun shan xiù.
 

Première étape, le matériau brut. 

Les dictionnaires de bon faiseur donnent ce qui suit:

 
去年 = partir-année, l'an dernier
元夜 = première nuit, comme "元宵", yuán xiao, la nuit du 15 du premier mois lunaire (cette année, le 7 février)
   时 = temps, époque ( 什么时侯, shenme shíhou, quel - temps - (particule): quand)
花市 = fleurs marché (ou ville)
   灯 = lampe, lanterne
   如 = comme
   昼 = lumière du jour
   月 = lune, mois
   上 = sur, au dessus (antonyme de 下, xiao, sous)

                   (上 comme dans 上海, Shanghai, 海 hai signifiant mer)

    柳= saule (aussi un nom de famille. Ne pas confondre avec 刘, liú, beaucoup plus fréquent)
梢头 = le bout d'une branche (头, tête)
    人 = homme
    约 = fixer un rendez-vous
黄昏 = crépuscule (jaune obscurité)
   后 = après
今年 = cette année (même veine: 今天, jin tian, aujourd'hui). 明年, ming nian, l'année prochaine;    

                                                                                                                         后年, dans deux ans

   与 = donner; et (copule)
依旧 = comme avant (旧 : passé, ancien. 新, xin, nouveau, récent)
不见 = ne pas-rencontrer
   泪 = larmes (clef de l'eau à gauche; l'oeil à droite)
   湿 = humide (vêtements)
   春 = printemps
   衫 = robe légère
   袖 = manche

Deuxième étape, le sens général. 

En somme, et presque mot à mot:

L'an dernier, à la Saint Valentin, sur le marché aux fleurs les lanternes (éclairaient) comme en plein jour. La lune au dessus de la cime des saules, le rendez-vous fixé après le crépuscule. Cette année, à la Saint-Valentin, la lune et les lanternes comme avant. Mais pas la rencontre de l'année passée, la manche de ma robe de printemps est humide de larmes.

Qi Wang tout aussi fidèle au texte avait écrit (l'amant est peut-être une extrapolation ...):

Au soir de la première pleine lune de l'année passée, Les lanternes faisaient le jour au marché aux fleurs éclairé, Pendant que la lune montait jusqu'à la tête des saules, Je fréquentais mon amant après le crépuscule.
Cette année le soir de la première lune revient, La lune et les lanternes sont tout comme avant, Mais je ne trouve plus mon amant de l'an dernier, Mes larmes trempent les manches de ma robe de printemps.

La poésie perce déjà sous ce qui n'est plus en fait, traduit,  que de la prose
... Les manches humides des larmes essuyées, lune et saules mêlés.

    Troisième étape, versification. 

Yves Harrand de nous le tourner en deux quatrains:

L'an passé, premier soir de la nouvelle année;
Sur le marché aux fleurs, si clair illuminé,
La lune dépassait des saules les sommets,
La nuit tombée j'allais voir l'homme que j'aimais



Cette année, premier soir de la nouvelle année,
Les lampes et la lune éclairent comme avant ;
Mais je ne le vois plus, lui, mon ancien amant,
Ma robe de printemps,  mes larmes l'ont fanée.

去年元夜时,花市灯如昼。
月上柳梢头,人约黄昏后。
今年元夜时,月与灯依旧。
不见去年人,泪湿春衫袖。



C'est, me semble-t-il, toute la magie du chinois que de faire tenir tant de subtilités, d'images, d'évocations en quarante syllabes. Il en aura fallu 96, et 69 mots, pour qu'Yves Harrand parvienne à s'en approcher ...

Trois mots encore:

Un de Qi Wang, pour Yves Harrand:

Vous l'avez fait! Je trouve votre traduction super. Les sentiments de l'original ont été bien gardés par ce style. 

Pour moi, c'est aussi un exemple pour l'apprentissage. Merci! 

Une petite note: Littéralement, Yuan Ye veut dire la première soirée de la nouvelle année, mais ici, le designer spécifiquement la soirée de la premier pleine lune depuis la nouvelle, c'est a dire 15e jour du premier mois lunaire. Mais ce n'est pas évident par le texte seulement. Merci encore!

 

Les deux autres, ceux de la fin, pour Yves Harrand:

Merci, cher Jean Victor, de cette très belle analyse ; j'ai ainsi pu vérifier que mon propre mot à mot était correct (Wang m'avait bien aidé pour cela !). Je regrette de n'avoir pas su évoquer la particularité de cette fête, un nouvel an qui n'en est pas un, à strictement parler !

Mais nous sommes d'accord que le Chinois est elliptique, pour ne pas dire parfois
énigmatique, alors que le Français est analytique (lorsque la diplomatie n'était pas un tissu de mensonges, on utilisait le Français comme langue diplomatique en Europe :-(  ). 

Comme vous, je calcule : un mot français a en moyenne deux syllabes équivalant le plus souvent à deux pieds : traduire un vers de 5  idéogrammes (sinogrammes ?) en 12 pieds, c'est déjà une prouesse pour moi  !

Depuis que j'étudie la poésie chinoise (un livre de François Sheng, en particulier), et essaie de la traduire en vers, j'en arrive a penser que, si le français est analytique et descriptif, l'allemand évocateur et plus dramatique (voir Le Roi des Aulnes, de Goethe... les derniers mots "Das Kind war tot..."), le chinois est suggestif : il faut "lire entre les mots" ! D'ailleurs, des sinologues européens renommes traduisent parfois de façon diamétralement opposes.

Je le constate lorsqu'il me faut au moins des alexandrins (12 pieds ou syllabes) pour traduire, imparfaitement, des vers de 5 caractères ! Pourtant Leibniz (je crois), le grand mathématicien allemand, mais aussi linguiste, souhaitait faire du chinois la langue universelle ! (Il est vrai qu'il a découvert, le premier, que les chinois avaient invente le système binaire, cher aux informaticiens : les trigrammes de la divination..)
Hasta la vista !

Amicalement,

Yves Harrand,
怡碼

UNE AUTRE CHANSON,                  AVEC MUSIQUE ET TOUT ... 

MAJ 9.3.2001, 圭亚